JOUR 22 – Jeudi 07 novembre – San Cristóbal de Las Casas
Je me rends compte que je vous laisse sans nouvelles depuis presque une semaine, après un texte un peu morbide écrit pendant le trajet de nuit entre Oaxaca et San Cristóbal de Las Casas.
Douze heures de bus à travers les vallées nous ont menés jusqu’à cette charmante bourgade située à 2 200 m d’altitude. Ce n’est pas énorme, mais suffisant pour me couper le souffle et provoquer de légers maux de tête. Solène nous a déniché un superbe logement aux allures de chalet suisse, en plein cœur de la ville, à deux pas de la grande rue piétonne qui la traverse, avec à chaque extrémité une église. Le climat y est très agréable : chaud et sec le jour, très humide pendant les averses de l’après-midi, et plus frais à la tombée de la nuit, ce qui rend particulièrement plaisant de se blottir sous la couette.
Des églises, il y en a de nombreuses ici ; nous en visitons quelques-unes, mais rien d’incroyable, contrairement aux marchés qui les entourent. Des kilomètres de stands de fruits et légumes, d’épices, de volailles, de quincaillerie ou encore de jouets en plastique. Les couleurs nous éblouissent autant que le soleil qui cogne fort à l’approche des orages. Encore une ville où il fait bon vivre.
Si nous nous sommes aventurés dans les quartiers plus populaires à la recherche d’un projet de développement durable — malheureusement fermé pour les deux prochains mois — le centre, lui, est parfaitement aménagé pour les touristes et les Mexicains aisés. De nombreux cafés et restaurants s’offrent à nous, ponctuant les boutiques de luxe, mais ce que nous préférons, c’est emprunter les rues moins commerçantes qui nous apaisent. De longues rues bordées de maisons basses et colorées aux toits de tuiles, menant aux montagnes environnantes que l’on peut apercevoir à chaque extrémité des avenues.
Enfin, un peu de relief ! Jusqu’ici, chaque ville visitée était complètement plate ; ici, il y a des courbes, des pentes et même des côtes que nous apprécions de monter en espérant découvrir un autre coin charmant une fois en haut. C’est très joli.
De nombreuses femmes, enfants au bras et vêtues de jupes en peau de mouton noir, tentent de vendre leur « artisanat » aux touristes que nous sommes. San Cristóbal, c’est bien plus qu’une cité devenue touristique ; elle a une histoire riche, notamment autour de sa population et de son combat contre l’esclavage. Une histoire que l’on peut d’ailleurs retrouver transcrite sur les nombreuses peintures murales qui colorent la ville. Les conquistadors y avaient à portée de main des milliers de personnes prêtes à leur rendre de gracieux services notamment pour exploiter les terres agricoles en échange du gîte, du couvert et d’une soit-disant protection. De nombreuses communautés montagnardes habitent la vallée qui entoure la ville. Les nouveaux habitants, désireux d’imposer leur religion catholique, bâtirent des églises dans les différents quartiers de la ville, s’élevant toujours plus haut pour se rapprocher des cieux, des dieux, mais aussi des autochtones.
La ville de San Cristóbal de Las Casas a joué un rôle crucial dans la domination coloniale espagnole grâce à sa position stratégique dans les hautes terres du Chiapas. Son nom actuel rend hommage à Bartolomé de las Casas, un dominicain espagnol arrivé dans la région au début du XVIe siècle. Après avoir été témoin des atrocités commises contre les peuples autochtones, il devint un ardent défenseur de leurs droits. En 1542, il joua un rôle essentiel dans l’adoption des Nouvelles Lois des Indes. Bien que ces lois aient été conçues pour protéger les populations indigènes, leur application fut inégale, et les abus ont perduré longtemps après leur promulgation.
L’oppression des peuples autochtones a mené à des mouvements de résistance tout au long de la période coloniale. Certaines communautés montagnardes des environs de San Cristóbal se sont retirées dans des zones reculées pour échapper au contrôle espagnol, préservant ainsi leurs coutumes et traditions ancestrales.
Pour stimuler l’économie locale et s’assurer d’une main-d’œuvre plus « volontaire », les colons ont accepté d’accorder certains espaces à la population indigène. C’est ainsi que les marchés, encore présents aujourd’hui, sont devenus des éléments essentiels de l’histoire de la ville. Ils s’organisent notamment autour des quartiers historiques, comme celui du temple de Santo Domingo de Guzmán , un splendide édifice d’origine catholique qui, après avoir temporairement servi de prison, de caserne militaire ou de centre culturel, demeure un lieu symbolique, un sanctuaire ouvert où chacun peut exprimer sa foi et célébrer sa spiritualité.
Si la vie est plutôt agréable ici, nous avons, durant ces trois premières semaines de voyage, largement explosé le budget. Nous devons donc revoir notre approche, notre itinéraire et nos projets. Si Oaxaca était déjà plus abordable, San Cristóbal reste tout à fait accessible, offrant une multitude de choix entre cafés branchés, restaurants traditionnels, et marchés à prix raisonnables. En lisant ces lignes, vous comprendrez aisément pourquoi Solène a choisi d’y prolonger son séjour : elle profite d’un environnement agréable et propice pour perfectionner son espagnol, améliorer ses pas de danse, apprendre des artisanats locaux, et peut-être même s’engager dans des associations locales.
Pour ma part, je ne m’imagine pas m’installer ici plus d’un mois, car cela impliquerait de me priver de visites ou de petits plaisirs quotidiens. Cependant, je ne peux pas quitter le pays sans faire un détour pour saluer mon ami Yael, Mexicain d’origine rencontré à Sydney il y a quelques années, ni sans visiter la capitale, qui demeure l’une des mégapoles les plus vastes et dynamiques du monde.
C’est donc décidé : j’abandonne mon compagnon de voyage, sachant qu’elle est en sécurité et dans de très bonnes conditions de vie, pour entamer mon retour précipité vers la France. Économie oblige, c’est en bus que je rejoindrai la capitale, avec un trajet de 15 heures de route prévu.
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